LES TISSERANDS AUTOUR DE ROUBAIX-TOURCOING
L'habitat du tisserand
La maison du tisserand
L'organisation en Fort
L'organisation en courée
 

La maison du tisserand
J'ai, au cours de mon enfance, entendu les enfants des tisseurs parler de leurs maisons et de ce qu'elles contenaient. Puis, plus tard, j'ai eu l'occasion d'entrer dans ces vieilles masures qui se ressemblaient toutes extérieurement et intérieurement : petites fenêtres, petites portes, deux pièces et un "reculé" comme l'on disait alors et qui n'était autre qu'un appentis.
Le métier à tisser était toujours placé près d'une fenêtre et, à proximité, le rouet avec lequel on confectionnait les trames. Une table, des bancs, plus tard des chaises, et une armoire composaient tout le mobilier. La grande "garde-robe" ne fit son apparition que lorsque l'on construisit des maisons plus hautes. On se chauffait alors au moyen d'un poêle à trois pattes mais dans certaines demeures on trouvait un "Godin" ou un "Sougland".

C'est dans cette pièce que la famille prenait ses repas, parfois - mais beaucoup plus rarement - dans l'autre pièce où se trouvait le lit haut sur pied, sous lequel on glissait celui des enfants en bas âge. Ce dernier n'était en réalité qu'une caisse contenant une paillasse en paille d'avoine. Lorsqu'ils étaient un peu plus grands, les enfants allaient dormir "en haut", c'est-à-dire sous le toit de la maison.
Beaucoup de ces maisons, construites vers les années 1850, disposaient d'un four où l'on cuisait le pain pour quinze jours. On débarrassait la "maie" qui servait aussi pour le rangement et l'on préparait la pâte sans omettre la "flamiche" qui faisait les délices du soir.
Aux dires des anciens, le pain était aussi bon le dernier jour lorsqu'il sortait du four. Sans doute la qualité de la farine que l'on se procurait généralement chez le meunier du village (il y avait à l'époque des moulins à vent un peu partout) n'y était-elle pas étrangère.
Parfois, près de la maison on trouvait un puits d'eau potable. C'était une garantie contre la soif, car l'eau était la boisson courante du tisseur.
Il arrivait pourtant à celui-ci de faire une bonne guinsse, autrement dit de prendre une bonne cuite mais uniquement avec de la bière - suivie d'un grand genièvre - qu'il ingurgitait à coups de grandes pintes, chacune d'elles contenant un demi-Iitre de boisson. Une grande pinte coûtait alors deux sous et il n'était pas rare que notre buveur de bière dépensât quarante sous pour s'enivrer de la sorte.
En dépit de cette absence totale de confort et d'hygiène, d'une nourriture plus que frugale, d'un travail harassant, les hommes et les femmes que j'ai connus dans mon enfance étaient généralement forts et vigoureux et certains d'entre eux - tel ce vieil ami de ma jeunesse qui me parlait avec passion de toutes ces choses qu'il avait pourtant subies - vécurent jusqu'à plus de quatre-vingts ans.
Tel était, brièvement résumée, la façon dont nos anciens vécurent jusqu'à la fin de la Première Guerre mondiale.

La valse des brouette in Plein-Nord n°93 - Jean TORDOIT
 
La maison du tisserand-paysan

La maison du tisserand-paysan de Wattrelos sous la Restauration et la Monarchie de juillet était moins misérable qu'on ne le pense ordinairement. D'une part les matériaux de construction ont changé, la tuile a remplacé la chaume, et la brique s'est substituée aux murs en torchis. Les chaumières avaient tendance à disparaître du paysage. Les petites maisons "en durs", si caractéristiques de l'habitat ouvrier du XIXème siècle commençaient à se construire le long des routes et dans les hameaux.
En général, elles comprenaient deux niveaux, plus un grenier et parfois une cave. Ici, dans la région de Roubaix-Tourcoing, les tisserands ne travaillaient jamais dans la cave, ce qui était par contre fréquent à Lille ou en Cambrésis. Au minimum donc quatre pièces : deux au rez-de-chaussée, et deux à l'étage. La pièce de travail, appelée "ouvroir" avait souvent vue sur la rue. Voici, par exemple, la description de l'ouvroir de Florentin Doyen, tisserand à Watrelos, au hameau du Nouveau Monde : Trois métiers à tisser dont un seul appartient au défun, une table, un grand fauteuil en tapisserie qui a été déclaré ne pas lui appartenir, un banc, un rouet, un dévidoir, une chaise, un peu de charbon de terre, une salière.
L'autre pièce tenait, à la fois, de la salle à manger et de cuisine. On y trouvait, autour de la cheminée, quelques meubles (horloge, chaises, table, fauteuils), et surtout les ustensiles de cuisine. Parfois, quelques cadres étaient suspendus sur les murs.
A l'étage se trouvaient la chambre des parents et celle des enfants, mais ces pièces ne contenaient pas uniquement le mobilier de la nuit. Dans une chambre de la maison de Louis Bonnenfant, fileur de lin au hameau du Gauguier à Wattrelos, on remarquait : un sac contenant des étoupes, un bois de lit renfermant une paillasse et deux couvertures, une partie de pommes de terre, deux chaises, un chariot à filer le lin, une partie de charbon de terre, une cuvette, un vieux dévidoir, deux peignes à peigner le lin, plusieurs instruments de jardinage, une vieille armoire contenant deux bottes de lin, un coffre en bois blanc. La séparation des fonctions de chaque pièce ne s'était pas encore produite dans les milieux populaires.

Certaines maisons étaient vétustes et insalubres comme celle que Charles-Louis Leplat, cultivateur à Wattrelos, louait à un ouvrier, Louis Lepoutre : la maison qu'il habite ( . . . ) est dans un si mauvais état que lorsqu'il pleut, il se trouve inondé. Mais, en général, l'habItat étaIt de bonne qualité dans la région de Roubaix-Tourcoing. Les petites maisons ouvrières que faisaient construire les fabricants, les commercants ou les cultivateurs, représentaient une amélioration considérable par rapport à l'habitat des années antérIeures à 1815.
Le tisserand-paysan de Wattrelos était presque toujours locataire de sa maison. Son tempérament pugnace lui permettait de tenir tête aux exigences du propriétaire, le cas échéant. Ainsi, en 1826, Jean Poissonnier, tisserand, avait occupé une maison appartenant à Léonard Henno. Il devait trois mois de loyer. Le propriétaire précisa qu'à "sa sortie de ladite maison, il y avait laissé des vitres cassées, qu'il lui a coûté 2 F. 5 c pour les faire remettre", laquelle somme il réclame aussi au sieur Poisonnier. "Celui-ci rétorqua au juge de paix que la maison en question était si vieille et si débile [sic] qu'il y pleuvait partout, et que pour cette raison il croyait ne rlen devoir payer ! ".
Il existait aussi des tisserands propriétaires de belles maisons bien meublées, où le visiteur sentait l'aisance sinon la richesse du maître des lieux. La maison de Florimond Delecroix, tisserand à Wattrelos, route de Roubaix, non loin du calvaire en 1831 était de celles-là. Dans la grande salle outre le mobilier traditionnel, on voyait une caisse d'horloge, en bois d'orme, peinte en rouge, ou encore 19 cadres, un petit castel en merisier, une armoire en bois d'orme, une autre armoire en bois d'orme peinte en rouge à 4 tiroirs, mais aussi une commode en bois d'orme avec deux grands tiroirs en bas et trois petits en haut, dix chaises en merisier, etc...

Les tisserands-paysans de Wattrelos 1800-1848 in Plein-Nord n°100 - Paul DELSALLE
 

L'organisation en fort
fort
Le fort Saint-Joseph
Roubaix
Plan cadastral 1847
 

L'organisation en courée
courée
Sur ce plan, on voit nettement l'organisation des maisons alignées et les courées. Il faut savoir qu'à l'époque, le bati était imposé sur les mètres de façade quelque soit la surface. Les propriétaires achetaient donc peu de mètres de façade et des terrains tout en profondeur.
Ceci explique en grande partie les maisons collées les unes aux autres avec des longs jardins qu'on trouve encore aujourd'hui.


Plan parcellaire du cadastre de Roubaix
levé en 1846


Pour voir la carte de plus près, cliquez ici
 
Une courée est un ensemble de petites maisons accolées les unes aux autres, se faisant face sur un étroit passage. On y entre par un corridor sombre. Au fond de la cour, une baraque abrite les W-C collectifs. Près de la rue, un robinet d'eau potable et, quelquefois encore de nos jours, une pompe. L'habitation en courée ne possède en général que deux pièces, pas de dépendance, ni de couloir; on pénètre directement dans l'unique pièce du rez-de-chaussée qui sert à la fois de salle à manger, de cuisine, de cabinet de toilette et se transforme parfois la nuit en chambre d'enfants. L'escalier très raide part de cette unique pièce pour aboutir à une chambre à coucher, souvent très basse de plafond. Comment furent construites les courées ? Pour tout le monde, le problème se posait de la façon suivante : comment construire le plus de maisons possible sur le plus petit terrain possible, avec le moins de matériaux possible, le plus économiquement possible. La courée fut la solution de ce problème. Comme le terrain "front à rue " coûtait assez cher, on achetait vingt mètres sur la rue et cent cinquante mètres en perpendiculaire. Pour gagner de la place et réserver tout le terrain à la construction, on ne laissait qu'un seul long couloir, sorte de boyau étroit et obscur qui donnait accès à plus de quarante maisons parfois et passait souvent au travers de la maion construite en front à rue. Cette maison était assez grande. C'était presque toujours un cabaret que les habitants de la courée fréquentaient assidûment. Ainsi cette maison augmentait de valeur locative et l'on pouvait exiger un très gros loyer car les tenanciers étaient sûrs d'avoir de nombreux clients...

Jacques PROUVOST - Société d'émulation de Roubaix - 1969
 
Van der Meersch
Car dans les cours on vit ensemble, on a ses jours de corvée, lessives, balayages, avec les inévitables disputes qui en résultent. On a ses liesses, les allumoirs, les communions, la ducasse et la foire. On a aussi ses jours d'épreuves : grèves, chômage, épidémie et jusqu'au passage du receveur de loyers, chaque premier dimanche du mois. C'est une cité en petit avec son domaine public - pompe et cabinet, couloir de sortie, fils à linge - ses guerres civiles, sa police qu'assure fréquemment, en cas de bataille, quelque robuste gaillard bénévole, et jusqu'à son culte, la cartomancienne-accoucheuse qu'on consulte pour cent sous.
[...]
Quels étonnants architectes, avares d'air et de terrain, prodigues de la santé des humbles, ont bien pu édifier ces termitières, ces labyrinthes qui se greffent sur la rue des Longues Haies, ramifiés, incohérents, percés de passages en coupe-gorge et de brusques trouées ?

Quand les sirènes se taisent - Maxence VAN DER MEERSCH - 1932
 

SUITE...


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