LE CHARRON
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Le charron


Extrait de
"Hommes et traditions populaires en Flandre-Artois"
Jules JOLY et Gérard HAYART - 1991
  Gaston Legrand, " ech carron "

Gaston Legrand ne parle pas beaucoup mais c'est un homme d'action, l'esprit toujours absorbé par son tra-vail. Il habite une longue maison blanche prolongée par un atelier, non loin de la gare. Comme la cour est assez petite et qu'il habite une rue étroite, il limite l'accumula-tion des chariots, tombereaux ou charrettes à remettre en état :

" El'train avant ed'min car i'est cassé, Gaston. (1)

- Pas avant quinze jours, Albert", répond-il sans lever la tête de son travail car la spécialité du charron c'est "tout ce qui roule". D'abord les chariots à quatre roues, à ridel-les, deux grandes roues en bois, à l'arrière, cerclées de fer et deux plus petites à l'avant, constituant l'avant-train, organe de direction du véhicule. Les bandages en fer mesurent bien deux centimètres d'épaisseur. Sur ces cha-riots destinés à ramasser les récoltes de céréales, on peut charger trois à quatre cents gerbes de blé - ou d'avoine, même en terrain accidenté. Gaston connaît l'art de construire des chariots à grand rayon de braquage, les petites roues pouvant pénétrer sous la caisse jusqu'à la pièce maîtresse, cette grosse poutre qui relie les essieux avant et arrière. Un chariot qui sort de son atelier com-porte toujours des freins à patins, indispensables dans ces pays de collines, et un treuil sur lequel s'enroule une grosse corde ou "comble" qui maintient la charge de gerbes.
Pour les plus petites exploitations, Gaston Legrand fabrique des " charrettes d'août", légères, pratiques, pou-vant être tractées à la rigueur par un seul cheval. Les moins aisés des cultivateurs se contentent d'un tombe-reau à fumier ou à betteraves sur lequel ils adaptent, aux deux extrémités, des fourragères à claire-voie pour en augmenter la capacité de transport.
Amoureux du travail fini, le charron chanfreine les arê-tes de tous les bâtis et protège l'ensemble roues, caisse et ridelles d'une peinture bleue de sa conception.
"ça, c'est du Legrand", peut-on dire en voyant cette couleur traditionnelle.
Ignorant tout de la géométrie du cercle, Gaston sait comment faire une belle roue: le cœur en est le moyeu taillé dans de l'orme bien sec; les six éléments de la jante de frêne sont maintenus solidaires par des chevilles en chêne; en chêne également les rais reliant l'essieu à la jante et appelés à supporter des charges de plusieurs tonnes. Travail subtil et complexe réalisé par Gaston à partir d'outils et de gabarits très simples qu'il a créés lui--même: serre-joints, serre-rais, planes, compas, mesure à faire les rais, fausse-équerre, vilebrequins. Travail sérieux qui commence avec le choix des arbres qu'il pré-fère voir sur pied avant l'abattage, à partir de novembre et jusqu'à janvier, quand la sève cesse de monter .
Selon une croyance héritée de son père, Gaston tient à ce que " ses arbres " soient abattus dans le décours de la lune. . .
La roue terminée, il faut la cercler pour en assembler tous les éléments. C'est chez Ernest, le maréchal, que le rite - car cela tient presque du sacré - se déroule. Le bandage est chauffé sur un bûcher. Dès que le métal est suffisamment rouge, Ernest et Gaston le saisissent à l'aide de tenailles, l'approchent avec précaution de la jante en bois posée bien à plat sur une plaque métallique et, avec des marteaux, on la met en place avec précision.
" Dal'l'ieu, vite " (2), crie Ernest. Et les femmes vident des seaux d'eau ou des arrosoirs sur le bois qui commence à brûler pendant que le bandage, amorçant son rétré-cissement, consolide l'assemblage des roues et enserre tous les éléments. C'est un grand spectacle, un moment d'émotion accentué par le chuintement de l'eau sur le bois brûlé et le fer rouge. Quelle belle leçon de sciences appliquées pour les élèves de l' école rurale !

(1) "El'train avant ed'min car" : le train avant de mon chariot
(2) "D'all'ieu" : de l'eau

 
BIBLIOGRAPHIE
Louis METREAU, Charron à La Ferté-Saint-Aubin (45) dans :
Les Gagne-misère - Gérard BOUTET - Jean-Cyrille Godefroy - 1989


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